Le Colloque d’Alençon, événement rassemblant les acteurs de la filière foret bois de Normandie, s’est déroulé le 23 octobre dernier, à l’Hôtel du département de l’Orne.
Pour cette nouvelle édition, les intervenants ont présenté la compétitivité de la filière, à travers le changement climatique, les bois locaux et labels territoriaux, le bois énergie normand ou encore les grands projets de construction bois.
Le Colloque d’Alençon a été également l’occasion de récompenser les lauréats du Prix Bois Construction Environnement Normandie 2019.
Vous trouverez le support de présentation à télécharger ici, et le résumé de chaque intervention ci-dessous.
Suite à une introduction du colloque par M. de Balorre, président du département de l’Orne, et de M. Piquet, président de ProfessionsBois, des experts de la filière se sont succédé pour évoquer les grands sujets de la compétitivité de la forêt et du bois.
CHANGEMENT CLIMATIQUE ET COMPÉTITIVITÉ DE LA FILIÈRE
Par Jean-François Dhôte, unité de recherche Amélioration, Génétique et Physiologie Forestières – INRA
Présentation des principaux résultats d’une étude menée conjointement par l’INRA et l’IGN entre 2015 et 2017. L’objectif était d’étudier la manière dont l’exploitation de la forêt peut permettre de réduire l’empreinte carbone de la France.
La filière bois contribue de deux manières à « stocker » du dioxyde de carbone : sous forme d’arbres d’une part, et sous forme d’émissions évitées d’autre part en utilisant du bois en lieu et place d’autres matériaux bien plus polluants. A l’heure actuelle, la filière bois « stocke » sous ces deux formes un total de 124 Mt de CO2 par an, ce qui représente 27% du stockage de CO2 pour l’ensemble du pays.
On constate l’accroissement du volume de bois sur pied dans les forêts françaises : la quantité de carbone stockée en forêt augmente. Les forêts françaises sont donc sous-exploitées, et particulièrement les forêts de feuillus.
Or, le stockage de CO2 sous forme d’arbres sur pieds est risqué : en cas de crise sanitaire, le stock est vulnérable. Une fois morts, les arbres libèrent en se décomposant le CO2 qu’ils avaient piégé. Différentes crises sont possibles : incendies, tempêtes, agents biologiques… Il est donc plus intéressant de stocker le CO2 en utilisant du bois comme matériau de construction plutôt qu’en laissant les arbres sur pied croître indéfiniment.
Ce risque de crises sanitaires est directement influencé par l’évolution climatique. Le réchauffement peut faire craindre à échéance plus ou moins longue une crise majeure sur le modèle du dendroctone qui ravage les pins en Amérique du nord. Dans l’hypothèse d’une grave crise sanitaire, on pourrait perdre jusqu’à 6 ans de stockage de CO2.
Dans ce cadre, les scientifiques se sont penchés sur l’étude de 3 scénarios distincts concernant l’exploitation de la forêt d’ici à 2050 :
- Une exploitation constante en termes de volume (50Mt de bois par an)
- Une exploitation croissante de la moitié de l’accroissement de la réserve chaque année (soit 70Mt de bois pour l’année 2050)
- Une intensification de l’exploitation supérieure à l’accroissement avec plan de reboisement.
Les conclusions de cette étude ayant été présentées au gouvernement en 2017, c’est ce 3e scénario qui a été choisi, considéré comme « une évidence et un minimum » à faire en ce qui concerne l’exploitation de la ressource forestière sur le territoire national.
Choisir ce scénario représente cependant un véritable défi pour la filière : celle-ci doit nettement augmenter sa production tout en maitrisant le reboisement. Les conséquences économiques d’un tel scénario sont imprévisibles en raison de la rigidité des acteurs face au changement. Il s’agit cependant de la meilleure façon de « sécuriser » le CO2 stocké.
Le paradigme de la « multifonctionnalité » de la forêt ne doit pas servir à justifier l’immobilisme et il convient de définir un nouveau « compromis forestier ». Par exemple, en cas de crise sanitaire, il ne faut pas s’enfermer dans une régénération naturelle à tout prix. La plantation d’espèces importées peut être une alternative intéressante.
Q : Quid de la recherche contre les maladies ?
R : Pas de recherche sur les produits phytosanitaires, même si certains herbicides sont efficaces en dépit de l’encadrement de plus en plus strict de leur utilisation. Recherches plutôt axées sur des régulateurs biologiques et la sélection d’individus résistants.
Q : Quid du bois énergie dans ces scénarios ?
R : On a considéré que la proportion de bois servant de combustible dans la production totale de bois restait constante au fil du temps dans les différents scénarios, à savoir égale à ce qu’elle était en 2017.
BOIS LOCAUX ET LABELS TERRITORIAUX: VERS D’AUTRES FORMES DE COMPÉTITIVITÉ ?
Par Jonathan Lenglet, enseignant chercheur – AgroParisTech
L’idée est ici d’essayer de comprendre le phénomène de « labellisation » de la production de certains bois locaux en France.
Historiquement, le phénomène a débuté dans l’Est de la France, principalement pour des productions de bois de résineux dans des massifs de petite montagne (Vosges, Jura…). L’idée originelle est d’essayer de tirer une plus-value d’une spécificité territoriale afin de vendre un produit « commun » à un prix équivalent ou légèrement supérieur à celui de la concurrence non-différenciée.
Le label permet de rendre le produit compétitif : on ne vend pas simplement le produit mais surtout l’image construite autour du label par les différents acteurs.
On distingue 3 temps dans le processus de labellisation des bois en France :
- Une envie de certification des standards de qualité de la production. Cette envie vient des professionnels. On peut citer l’exemple du label « Jura supérieur ».
- Une envie d’ancrer la labellisation dans le territoire. Cette envie vient des collectivités territoriales. On peut citer l’exemple de « Bois des Alpes ».
- L’envie de valoriser et de garantir l’origine comme une spécificité. Ce 3e temps résulte de la jonction entre les envies des professionnels et des collectivités.
On peut imaginer, sur le modèle de l’industrie agro-alimentaire, apposer des AOP ou des AOC sur des productions de bois. Cependant, les AOP ne sont prévues que pour l’agro-alimentaire. Quant aux AOC, des expérimentations pour le bois sont en cours.
On remarque que l’utilisation de bois labellisé « local » est quasi-systématiquement un acte militant réalisé principalement par des collectivités dont l’objectif est de retrouver du contrôle sur la filière et de la logique au niveau local.
De fait, les collectivités ont un rôle très important à jouer dans le développement de ces labels à travers leurs projets ayant recours à des appels d’offres publics. Celles-ci peuvent se permettre de faire des choix économiquement plus discutables que les acteurs privés afin de soutenir des initiatives locales. De plus, ces bâtiments ont souvent vocation à accueillir du public qui peut alors être sensibilisé au matériau « bois local ». Enfin, ces projets publics sont l’occasion de créer des relations au niveau local afin de renforcer les dynamiques territoriales.
Cependant, il n’est pas évident d’utiliser du bois local pour une collectivité. Le code des marchés publics interdit en effet de spécifier une origine pour le bois à utiliser. Cette restriction est souvent contournée de deux manières : soit en proposant de fournir gratuitement le bois de la collectivité aux entreprises, soit en spécifiant une marque de bois, mais une marque « équivalente » peut alors être proposée.
On constate dans tous les cas qu’une volonté politique est nécessaire pour lancer ces labels de bois locaux. Ceux-ci ont systématiquement un coût élevé à leur lancement. Quant au fait de savoir ci ceux-ci perdureront, seul le temps permettra de le dire. Certains semblent bien fonctionner, d’autres moins bien… Le label « bois des Alpes » semble avoir limité la casse pour la filière en région Rhône Alpes lors de la crise de 2007 par exemple. Il convient donc d’être attentif à l’évolution de ces labels.
Conclusion : l’impact économique de ces labels sur la compétitivité des filières régionales et locales ne peut pas, à l’heure actuelle, être évalué. Le retour d’expérience est insuffisant pour prendre la décision de mettre en place une démarche volontaire, décision politique d’un côté, par des élus, décision économique de l’autre, par des professionnels.
BOIS ENERGIE NORMAND ET COMPÉTITIVITÉ DE LA FILIÈRE
Par Paul Antoine, Biomasse Normandie
Le bois a été abordé en tant que source d’énergie au sein de la région Normandie.
L’intérêt du bois énergie est double : il permet de valoriser la ressource locale et de faire tourner l’économie de la région d’une part, et de remplacer des combustibles fossiles par un combustible renouvelable d’autre part.
En Normandie, le bois énergie représente 1,6 millions de tonnes par an, principalement pour une utilisation domestique en milieu rural et industrielle. La filière bois énergie est très dynamique en Normandie, et particulièrement à Alençon qui possède 3 chaufferies collectives à bois.
En milieu rural, le bois énergie est très compétitif ; à l’inverse en milieu urbain, c’est le gaz naturel qui est le moins cher.
En 2018, 80% du bois brûlé en Normandie venait de la région.
Au cours des années passées, on constate une faible progression régulière de l’utilisation du bois comme source d’énergie pour l’habitat collectif et des « vagues » d’utilisation en ce qui concerne l’industrie qui est plus soumise aux aléas économiques.
On estime que la valorisation de 1000 tonnes de bois sous forme d’énergie permet de créer 1 emploi.
L’objectif pour 2030 en Normandie est d’augmenter de 1 millions de tonnes de bois par an l’utilisation de bois énergie (1,6Mt/an à 2,6Mt/an) et par là même de créer 1000 emplois dans cette filière.
Aujourd’hui, 2,2 Mt de bois « produit » par an n’est pas valorisé. La ressource est donc suffisante pour atteindre l’objectif fixé.
Q : Comment mobiliser cette ressource ?
R : Principalement en utilisant les stocks comme bois d’œuvre afin de pouvoir récupérer les déchets et connexes pour une utilisation en bois énergie. On peut également penser à remettre en production des parcelles au peuplement réduit.
Q : Quid des granulés ?
R : Les granulés sont utilisés uniquement pour du chauffage domestique individuel. Ils représentent 10% du bois énergie utilisé à cette fin. La quasi-intégralité des granulés sont importés depuis d’autres régions.
Q : Les prix de vente du bois énergie sont extrêmement bas. Pourquoi ?
R : Parce que le gaz naturel tire les prix vers le bas.
Q : Quid des bois traités ?
R : Ils sont plus compliqués à valoriser. La réglementation les concernant est plus stricte. Une seule centrale dans la région peut les utiliser à l’heure actuelle.
LES GRANDS PROJETS NATIONAUX ET RÉGIONAUX DE CONSTRUCTION BOIS
Par Christian Piquet, président de ProfessionsBois
Des projets de construction bois d’une certaine envergure qui peuvent servir de référence pour de futurs chantiers ont été présentés.
En Normandie
- La Passerelle du Mont Saint Michel réalisée en chêne normand
- La Tour Signal au Havre, R+14, 45m, livraison prévue fin 2021
- Le Quartier Flaubert à Rouen, R+10, 28m, livraison prévue en 2023
- La Presqu’île de Caen, R+8, 28m, livraison prévue fin 2020
- Le Lycée du futur, à Bourg Achard, 13 000m², livraison prévue début 2022
En France
- Hyperion à Bordeaux, livraison prévue en 2020
- Ilot Bois à Strasbourg, livraison prévue en 2020
- Cartoucherie Woodart à Toulouse, livraison prévue en 2020
- Timber Loggias à Grenoble
- Woodup à Paris, livraison prévue en 2021
- Le Village Olympique de Paris
Les projets d’envergure ne manquent pas pour les années à venir, qu’il s‘agisse d’immeubles, d’équipements collectifs ou de quartiers résidentiels, tant en Normandie qu’en France plus généralement.
OBSERVATOIRE NATIONAL DE LA CONSTRUCTION BOIS, CHIFFRES NATIONAUX ET RÉGIONAUX
Par Christian Piquet, président de ProfessionsBois
Christian Piquet a présenté les résultats de l’enquête nationale de la construction bois 2019 (activité 2018) réalisée par le CODIFAB.
Cette enquête est disponible ici.
Le lecteur curieux pourra consulter cette enquête pour de plus amples informations. On se contente ici de rapporter les principales conclusions soulignées lors de l’exposé.
Environ 50% des entreprises de la filière construction bois en Normandie ont répondu à l’enquête : c’est très bien ! On est ainsi certain que cette étude est représentative de la filière, et ses chiffres sont incontestables.
L’ossature bois représente 75% du marché de la construction bois.
On constate que le marché de la construction bois a le vent en poupe dans tous les types de constructions (habitat, bureaux, équipements, locaux industriels, locaux agricoles, rénovations/extensions/surélévations).
Les Isolations Thermiques par l’Extérieur sont réalisées par la moitié des entreprises de la filière et sont une occasion supplémentaire pour celles-ci d’utiliser du bois puisque les bardages extérieurs de ces ITE sont souvent constitués de bois.
On constate que le CLT est un matériau très en vogue qui est de plus en plus utilisé. Ce n’est cependant pas la panacée, notamment parce que les volumes produits en France sont limités.
Globalement, il y a une vraie volonté politique de démocratiser l’utilisation du bois comme matériau de construction. Cette volonté est nécessaire : sans elle, la construction bois ne prend pas. Une fois un projet de construction bois initié, l’ensemble des acteurs du projet (en particulier le maître d’ouvrage) doit s’impliquer pour l’utilisation du bois.
En conséquence, la filière doit faire des efforts pour permettre de fournir la matière première nécessaire à ces clients qui font un acte politique fort en choisissant le bois comme matériau de construction.
REMISE DES PRIX BOIS CONSTRUCTION ENVIRONNEMENT NORMANDIE 2019
Pour la 6ème édition du Prix Bois Construction Environnement Normandie 2019, 52 projets se sont portés candidats. Le jury interdisciplinaire composé de 9 membres s’est réuni en mars dernier pour retenir les projets selon les critères de sélection définis par le règlement du concours :
- qualité architecturale et insertion paysagère,
- approche environnementale et performance énergétique,
- créativité et innovation,
- performance technique.
C’est à l’issue du Colloque d’Alençon que les lauréats de chacune des catégories ont été dévoilés au public, dont les trophées ont été remis par Monsieur Laurent Marting, conseiller régional de Normandie.
L’objectif de ces prix est de récompenser des architectes / entreprises de construction / bureaux d’études / entreprises bois ayant mené des projets de construction bois remarquables aux points de vue techniques, esthétiques et conceptuels.
52 dossiers ont été reçus dans 7 catégories différentes et 8 ont été primés. Les catégories étaient les suivantes :
- Apprendre/Se divertir
- Travailler/Accueillir
- Réhabiliter un équipement
- Habiter ensemble
- Habiter une maison
- Réhabiliter un logement
- Aménager
L’accent est généralement mis sur l’intégration du projet au sein de son milieu.
Les entreprises primées ont eu l’occasion de s’exprimer sur différents points, notamment sur le fait que ce prix est l’un des deux seuls prix régionaux récompensant l’architecture. De plus il est résolument tourné vers l’avenir. Les architectes ont souligné l’importance de la volonté politique et de l’engagement des acteurs qui permettent de mener à bien ces projets atypiques. Ils réaffirment leur rôle spécifique au sein du processus de création d’un bâtiment par opposition aux entreprises générales (Cf loi MOP).
CONCLUSION
C’est sur cette remise des prix que le colloque s’est conclu. Cela a été une fois de plus l’occasion de réaffirmer que la filière bois est bien une filière d’avenir avec un rôle important à jouer localement tant du point de vue économique qu’écologique. La volonté politique de développer cette filière est présente, et c’est désormais aux professionnels de se structurer pour répondre à la demande croissante pour ce matériau renouvelable.
Un travail est à mener sur les enjeux de la filière bois dans son ensemble, pour que les producteurs en amont permettent aux premiers ou aux deuxièmes transformateurs de bois de pouvoir répondre à la demande. Il faut donc coordonner cette filière pour que chacun puisse offrir ce qu’on attend de cette filière d’avenir qu’est le bois.
Rendez-vous l’année prochaine pour le prochain colloque !
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